« Grand Remplacement » : ce terme a été introduit par un écrivain proche de l’extrême droite identitaire, Renaud Camus. Selon lui, le peuple français serait petit à petit en train d’être « remplacé » par d’autres peuples, porteurs de cultures inassimilables. Est-ce vrai ? Et que recouvre cette expression particulièrement controversée ?
Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, la France a eu massivement recours à la main-d’oeuvre immigrée. Le thème du « problème de l’immigration » a fait irruption dans le débat public dans les années 1880. En des termes que l’on retrouve encore cent trente ans plus tard.
Entretien avec Gérard Noiriel, pour le magazine L’Histoire.
Philippe Sands, avocat franco-britannique spécialiste du droit international et des crimes de guerre, tisse des liens entre son aïeul, deux juristes juifs et le procès des responsables du IIIe Reich.
Une oeuvre fondamentale pour comprendre les notions de crimes contre l’humanité et de crimes de génocide et les enjeux mémoriels qui en découlent.
Tout a commencé par une invitation. Rien d’exceptionnel lorsqu’on est un juriste international de renom comme l’est Philippe Sands. Spécialisé dans la défense des droits de l’homme, cet avocat franco-britannique basé à Londres a travaillé sur toutes les plaies ouvertes de ces dernières décennies, de l’ex-Yougoslavie au Rwanda, de Guantanamo à l’Irak – ce qui lui a inspiré plusieurs ouvrages passionnants et limpides comme Lawless World (« Monde sans loi », 2006, non traduit) ouTorture made in USA (Music And Entertainment Books, 2009). Philippe Sands a aussi effectué un important travail de recherche sur le procès de Nuremberg (1945-1946) qui l’a « toujours fasciné » et sur lequel s’ouvre justement ce captivant Retour à Lemberg.
Mais revenons à l’invitation. Car celle-là était de provenance inattendue. Elle émanait de l’université de droit de Lviv, qui lui demandait de venir parler de ses travaux. Centre historique de la Galicie, le pays de Joseph Roth et de Sacher-Masoch, Lviv – qui se trouve aujourd’hui en Ukraine mais s’appela jadis Lemberg, Lwow ou Lvov, selon qu’elle était autrichienne, polonaise ou russe – joue presque le rôle d’un personnage à part entière dans ce livre. En effet, tous les fils narratifs ne cessent de nous y ramener.
Emergence d’une justice internationale Premier fil : c’est à Lviv qu’ont vécu deux brillants juristes étonnamment peu connus du grand public, mais dont l’apport est crucial pour l’émergence d’une justice internationale. Le premier, Hersch Lauterpacht (1897-1960), a défini le concept de « crime contre l’humanité », tandis que le second, Raphael Lemkin (1900-1959), a forgé celui de « génocide ». « La distinction est simple, expliquait Philippe Sands en octobre 2016 lors d’une conférence à New York. Elle est liée à l’intentionnalité. Pour Lauterpacht, un meurtre d’individus à grande échelle, s’il relève d’un plan systématique, sera un crime contre l’humanité, tandis que, pour Lemkin, il sera un génocide s’il est dicté par l’intention de détruire un groupe, en l’occurrence le groupe dont ces individus font partie. » Cette tension entre les deux concepts, Sands explique qu’elle n’a pas cessé de le hanter depuis. « C’est une question qui nous touche tous, dit-il. Chacun de nous se demande qui il est, et comment il souhaite être défini : comme individu ou comme membre d’un groupe ? »
Deuxième fil : en août 1942, un certain docteur Frank arrive à Lemberg. Hans Frank n’est pas seulement le gouverneur général de la Pologne occupée. Il est aussi « l’avocat préféré d’Adolf Hitler ». Après deux jours à Lemberg, c’est dans l’auditorium de l’université qu’il annonce l’extermination des juifs. Quatre ans plus tard, Lauterpacht assiste à Nuremberg au procès de Frank. Lemkin le suit depuis Paris à la radio. Tous deux n’ont pas seulement travaillé en tant que juristes avec l’accusation, ils ont aussi perdu une partie de leurs familles dans le processus d’extermination et se battront jusqu’à leur dernier souffle pour que justice soit rendue.
Troisième fil narratif enfin : il se trouve que c’est à Lemberg qu’est né le grand-père maternel de Philippe Sands, Leon Buchholz. C’est là qu’il a vécu jusqu’à ce que le nazisme l’oblige à fuir. Derrière lui, il laissait lui aussi une partie de sa famille, qui périra massacrée. Ainsi qu’une bonne dose d’opacité. « Je savais peu de chose de ses années avant 1945, car il n’avait jamais voulu en parler, raconte son petit-fils. On disposait bien de bribes d’informations, mais Leon avait enfermé la première moitié de sa vie dans une crypte. » Un silence qui n’est pas sans conséquences. « Pourquoi avais-je choisi d’étudier le droit ?, s’interroge Sands. Et pourquoi le type de droit qui avait manifestement des rapports avec une histoire de famille tue ? »
Au point exact où la grande histoire et l’histoire personnelle fusionnent Pour répondre à ces questions, l’auteur n’acceptera pas seulement l’invitation à Lviv. Ce n’était qu’un début. Il poursuivra l’enquête à travers ce livre où s’entrelacent magistralement tous ces fils pour se rejoindre au point exact où la grande histoire et l’histoire personnelle fusionnent. « Trouver cet équilibre a été difficile, confie-t-il. A un moment, j’ai été tenté d’écrire deux livres, un sur mon grand-père Leon, et un autre sur Nuremberg et le droit international. Mais mon agent littéraire m’en a dissuadé. C’était ce mélange qui rendait, à ses yeux, le livre unique. Je devais persister, même si cela prenait des années. De fait, il m’aura fallu six ans et quatre versions successives pour arriver à celle-là. »
Philippe Sands n’était pas au bout de ses surprises. Non seulement Retour à Lemberg a connu un succès retentissant aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, où il a remporté de nombreux prix, mais il aura aussi valu à son auteur une rencontre des plus inattendues : celle de Niklas Frank, le fils d’Hans Frank, que Philippe Sands interroge sur son héritage dans un film pour la BBC, My Nazi Legacy (« Mon héritage nazi », de David Evans, 2015), récompensé par le Festival international du film de Jérusalem.
John le Carré a qualifié Retour à Lemberg de « réussite monumentale ». Cette réussite n’est pas seulement littéraire. Il est probable que le livre a déjà contribué à faire progresser encore l’arsenal juridique et sa philosophie. La Commission du droit international des Nations unies est justement en train d’élaborer un projet de convention visant à punir les crimes contre l’humanité.
CRITIQUE Petit-fils, écrivain, juriste et détective Ce n’est pas un manuel de droit, même si l’on y suit la naissance de deux concepts juridiques essentiels du XXe siècle, ceux de crime contre l’humanité et de génocide. Ce n’est pas un ouvrage d’histoire, même si, avec celle de leurs inventeurs, Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin, on plonge dans ce Monde d’hier, cher à Stefan Zweig (1944). Ce ne sont pas non plus des mémoires même si, comme dans un thriller, on suit les traces du grand-père de l’auteur, Leon Buchholz, né à Lemberg en 1904, un homme qui avait enterré la première partie de sa vie, lorsque, sous la menace nazie, il avait dû fuir Lemberg puis Vienne jusqu’à Paris.
Qu’est-ce alors que ce Retour à Lemberg ? Un fascinant objet littéraire – la fluidité du style et la composition forcent l’admiration – mêlant tout cela et bien d’autres choses encore, dont une réflexion très personnelle et complètement universelle, sur ce qui constitue le noyau dur de nos identités, l’idée d’appartenance, les traces indélébiles laissées par les secrets de famille et tous ces silences qui, à notre insu, nous hantent et nous façonnent.
Sands s’y montre sous les traits d’un visionnaire optimiste – nous ne sommes encore qu’aux débuts du droit international. D’un petit-fils bouleversé par l’émouvante histoire de sa famille maternelle. Et d’un avocat-écrivain-détective exceptionnel, nous obligeant à tourner fiévreusement chaque page de ce très saisissant ouvrage.
Article de Florence Noiville, publié le 14 septembre 2017 à 08h00 – Mis à jour le 14 septembre 2017 à 08h42 https://www.lemonde.fr/livres/article/2017/09/14/philippe-sands-de-lviv-a-nuremberg_5185378_3260.html.
Une adaptation en podcast du livre éponyme de Philippe Sands
Philippe Sands, avocat spécialisé dans les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, a fait la connaissance de Horst Wächter, le fils d’un officier nazi, Otto Wächter, alors qu’il écrivait Retour à Lemberg, un livre sur le procès de Nuremberg. Otto Wächter, responsable entre autres de l’extermination de la famille de Léon Buchholz, le grand-père de Philippe Sands, en 1942, a échappé à la justice.
Le 5 juillet 1962, à Alger, on annonce l’indépendance du pays. Le cessez-le-feu a été proclamé quelques mois auparavant, au lendemain de la signature des accords d’Evian, en mars 1962, mettant ainsi un terme à huit années d’une guerre qui, longtemps, n’a pas voulu dire son nom entre la France et l’Algérie. Retour sur la chronologie des évènements de ce conflit qui a laissé des cicatrices profondes et douloureuses.
Ecrit pas des historiens membres du comité scientifique du Musée national de l’histoire de l’immigration, ce film retrace en quarante minutes deux siècles d’immigration : les vagues successives d’arrivées d’immigrants et de réfugiés, la mise en œuvre des politiques publiques et les questions de nationalité, les réactions de l’opinion publique entre xénophobie et solidarité, le travail et les métiers de l’immigration, les combats menés en commun en temps de paix comme en temps de guerre, les modes de vie et les questions culturelles.
À propos de : Daniel Foliard, Combattre, punir, photographier. Empires coloniaux, 1890-1914, La Découverte.
A l’instar des mitrailleuses, les appareils Kodak permettent de célébrer la « modernité » occidentale. Mais jusqu’à quel point la photographie montre-t-elle la violence européenne en Afrique et en Asie ?
Daniel Foliard a recherché, localisé, trouvé, collecté et, enfin, sélectionné, parmi des centaines de milliers de photographies, un certain nombre de clichés qui, tout en documentant les violences coloniales britanniques et françaises, témoignent aussi de l’évolution des sensibilités des deux sociétés à l’égard de celles-ci. Progressivement, mais de façon croissante au début du XXe siècle, les sociétés européennes ont été de plus en plus exposées aux images de violence en colonies.
Sans surestimer l’impact de la presse sur les sociétés de la Belle Époque, c’est cette économie visuelle faite de circulations d’images, d’usages et d’imaginaires fabriqués que l’auteur questionne tout au long de son ouvrage, en croisant systématiquement expériences britannique et française.
S’agissant de la violence, que voit-on que l’on s’autorise à montrer, et que voit-on que l’on ne montre pas ? La photographie a-t-elle rendu perceptible la violence européenne en Afrique et en Asie ? Ou bien l’a-t-elle filtrée, déformée, censurée, acclimatée ? Autant de questions passionnantes posées dans ce livre.
La photo et son commentaire À partir des années 1890, sous l’effet des progrès techniques, de la miniaturisation des matériels et de la baisse des prix, la possession individuelle d’un appareil de prise de vues ainsi que la pratique photographique se démocratisent rapidement.
Toutefois, alors que des milliers de voyageurs sillonnent la planète – les soldats fournissant les plus gros contingents –, « les reflets les plus extrêmes de leurs expériences » sont rarement photographiés. Pour ce livre, Foliard fait sciemment un pas de côté, en choisissant d’isoler parmi son imposant corpus « les clichés discordants sur la violence qui enveloppe les conflits extra-européens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle ».
D’emblée, l’auteur énonce que toute vue, aussi horrible soit-elle, ne doit en aucune façon être séparée de son commentaire. Aussi resitue-t-il et commente-t-il avec soin chacune des images reproduites. Très vite, et avant même de considérer ce que les images montrent, l’acte photographique est abordé en tant qu’« élément de l’arsenal colonial », participant de l’entreprise de domination des territoires et des corps.
Au même titre que l’armement, l’appareil photographique constitue un marqueur de la modernité et de la puissance occidentales. Tout à la fois outil d’autoglorification pour les auteurs/spectateurs d’exécutions des chefs « rebelles » et de propagande à destination des populations devant être soumises, la pratique du trophée photographique se banalise. Les vues s’accompagnent de l’humiliation et de la terreur recherchées du vaincu racialisé, qu’il s’agit de conquérir et de soumettre, encore et encore.
Toutefois, l’incertitude demeure sur les effets véritables des châtiments sur les populations conquises : s’agit-il d’un retour à l’ordre colonial ou d’un témoignage d’une résistance indomptable ?
Célébrer la surpuissance occidentale Toutes les armées coloniales pratiquent la communication photographique. Les clichés circulent d’une métropole impériale à l’autre ; les principaux opérateurs s’imitent. Très vite aussi apparaît l’idée que l’on ne saurait tout montrer aux publics métropolitains. Un subtil jeu s’exerce pour rendre visible l’expansion coloniale en métropole sans y provoquer pour autant de scandale visuel et politique inopportun.
À partir de 1895, la colonisation de Madagascar permet aux officiers français de structurer de façon plus systématique et plus raisonnée – contrôlée – la production d’images de la conquête. Dès 1896, Gallieni achève de placer la photographie au service de la colonisation de la Grande Île.
De leur côté, au Soudan, les Britanniques immortalisent leurs combats forts inégaux contre les troupes « fanatiques » mahdistes, menés à grand renfort de mitrailleuses et d’appareils Kodak. Là encore, célébration de la surpuissance blanche et occidentale ; célébration aussi de la modernité et de la technique, qu’il s’agisse du combat ou du mode industriel d’affirmation et d’immortalisation de la supériorité européenne. Avec la guerre au Transvaal, les Britanniques resserrent leur contrôle de la production et de la circulation des images. Les censeurs y font aussi leurs débuts.
Dans le même temps, les usages humanitaires de la photographie se banalisent. Ainsi les atrocités belges au Congo font l’objet d’une dénonciation visuelle internationale. On sait que la dénonciation des « mains coupées » sera d’ailleurs – injustement – retournée contre les Allemands lors de leur invasion brutale de la Belgique en août 1914.
On note par ailleurs que tous les ennemis ne sont pas traités de la même manière. Il est aussi plus facile d’exhiber la violence des concurrents. Enfin, ce qui est montrable dans le sud de l’Afrique ne l’est pas à Londres. D’où la possibilité d’esquisser une géographie des visualisations. Mais n’avons-nous pas affaire à une géographie en trompe-l’œil ? L’auteur note que « les images les plus dures des manifestations de la force n’apparaissent pas partout ».
Aussi ne disposons-nous d’aucune image des violences commises en Australie contre les populations indigènes. La relative invisibilité des « dérapages » les plus choquants, dans la documentation officielle, témoigne de la pleine conscience des autorités des effets de l’image sur l’opinion et de l’efficacité des filtrages opérés par les forces de conquête, de gouvernement ou de police.
Un apprentissage de la violence ? À partir de 1907, même si l’on retrouve des processus analogues concernant la Namibie allemande ou les Indes britanniques, la campagne engagée par les Français pour la conquête du Maroc est particulièrement bien documentée – jusqu’aux horreurs les plus extrêmes. Elle participe de ce point de vue d’un nouveau tournant dans l’élargissement du périmètre de la publicisation de la violence de guerre, une manière d’attester à la face du monde des capacités de destruction de l’armée française. Et ce, d’autant que de nombreux clichés sont reproduits et largement diffusés sous la forme de cartes postales.
La photographie des horreurs est-elle un média d’apprentissage de la violence de la guerre moderne ? La réponse ne va pas de soi. Il reste que ses modalités et ses ravages sont parfaitement documentés et largement donnés à voir, à l’occasion des différents conflits précédant la Grande Guerre. Au tournant du siècle, il semble que la pudeur vis-à-vis des morts européens s’estompe. Pourtant, force est d’admettre avec Foliard que, si beaucoup ont vu, peu ont regardé :
Le cliché de l’indifférence face à la photographie atroce circule déjà à la fin du XIXe siècle. L’idée d’une Belle Époque goulue de nouvelles atrocement illustrées, voyeuriste et prête à la guerre est ainsi fragilisée. (p. 379) Se pose alors une question : en quoi la violence en terrain colonial diffère-t-elle de la violence politique et militaire « ordinaire » ? Foliard assure qu’« en situation coloniale et dans nombre des conflits extra-européens de l’époque, la violence est débordante. […] La force imposée aux corps dépasse les limites de la guerre ».
Effectivement, la violence déborde, mais est-ce à dire qu’en métropole ou dans les conflits européens, la violence ne déborderait pas ? Sur un plan général, ne peut-on s’accorder sur le fait que les limites posées à la guerre sont systématiquement repoussées, dès lors qu’une armée – occidentale en l’occurrence –, richement armée, mène une guerre irrégulière et asymétrique contre une population largement civile, désarmée ou possédant un armement plus que rudimentaire, aussi bien hors d’Europe qu’en Europe même ? L’écrasement militaire de la Commune de Paris, par exemple, appartient à cette longue série sans fin. Cela pourrait justifier que soit préférée la notion de violences en colonies plutôt que celle de violences coloniales. Cela permettrait de penser le continuum empires-métropoles, et inversement.
Images « insensées » Quid également de la violence symbolique « ordinaire » ? Ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage (p. 396) que l’auteur évoque les « images manquantes », celles de la « violence lente, ordinaire, de violence structurelle, l’effet des famines ». Cela constitue, à mon sens, le principal angle mort de ce livre, par ailleurs remarquable de précision, de nuance et de tact.
Précisément, questionnons pour finir l’un des partis pris de l’auteur. Celui-ci insiste sur le caractère sélectif de sa collection et, fort justement, son premier critère tient au lien qu’il importe d’établir entre le cliché et d’autres archives permettant de contextualiser l’image et les conditions de sa fabrication, puis de sa conservation. Ce lien est ici bien noué.
Mais le second critère retenu est plus discutable. En effet, l’auteur se dit pleinement conscient que nombre de ces images peuvent choquer, émouvoir, « imposer des sentiments ». Sans aucun doute. Au point d’« aveugler » parfois le lecteur, soutient-il avant de regretter encore que certaines de ses images soient impossibles à neutraliser. Plus encore, le fait que « la sélection exposée ici [soit] pesée à l’aune de ce que l’on considère comme acceptable ou trop choquant » aujourd’hui pose question.
De même, l’affirmation selon laquelle « certaines images trop insensées ne figurent pas dans le livre » (p. 17) est assez déroutante. Car qu’est-ce qu’une image « trop insensée » ? Ce qui se joue là, c’est rien moins que la question du statut de l’archive. Toute société a recours à des processus d’iconisation, et, si risque il y a, c’est à mon sens dans les mésusages éventuels des images iconiques.
Je peine à imaginer une telle euphémisation pour ne pas rendre compte, par l’image, de la destruction du ghetto de Varsovie ou de la libération des camps de la mort. Quelles sensibilités s’agirait-il de ménager ? Pourquoi faudrait-il « désarmer » l’image-choc « plutôt que la subir », comme énonce la quatrième de couverture ?
Quant à l’argument selon lequel « celui qui reproduit l’image [s’inscrirait] dans le circuit de la violence qu’il pourrait s’appliquer à rompre », il est difficile d’y souscrire. Je soutiens, au contraire, que subir et « faire subir » une image-choc, c’est en définitive enclencher l’un des déclics indispensables pour penser le et la politique de nos passés. Pour agir, ici et maintenant.
Des textes de Vassili Grossman tirés de son expérience du front entre 1941 et 1945, et de la découverte de la Shoah, viennent d’être republiés. Qui posent de vraies questions, et permettent aussi de découvrir un récit majeur : « L’Enfer de Treblinka ».
Fin janvier 2021, Benjamin Stora remettait à Emmanuel Macron un rapport sur “les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Comment le rapport a-t-il été reçu, en Algérie ? Macron incarnerait-il une rupture dans la gestion mémorielle de la colonisation française ?