Les “films de journalisme”, un genre cinématographique ?

Cours de désinfox” ne pouvait ouvrir sa rubrique filmographie autrement que par évoquer la représentation du journalisme et le traitement de l’information au cinéma. 

A y regarder de plus près, la figure du journaliste apparait sur les écrans quasiment dès la naissance du cinéma. En tant que reporter d’images, créateur de films, tout d’abord,  puisque les premiers opérateurs des frères Lumière  voyageaient pour poser leur caméra et documenter ainsi le monde. En tant que rôle à part entière, ensuite,  dans un des tous premiers film de reconstitution historique, L’affaire Dreyfus, réalisé par Georges Méliès en 1899 (http://quietube7.com/v.php/http://www.youtube.com/watch?v=7tamfo2Zw28&t=427s). Dans ce court-métrage d’environ dix minutes qui retrace l’intégralité de l’affaire, le cinéaste met en effet en scène un débat houleux entre journalistes au sujet de la condamnation du capitaine pour trahison. La figure du journaliste semble donc avoir suivi et traversé l’histoire du cinéma, à l’image de cette scène célèbre dans le western de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valence (1962), durant laquelle l’éditeur Maxwell Scott, incarné par Carleton Young, déclare “Quand la légende devient des faits, imprimons la légende“.

“Dès les débuts du cinéma, le journaliste devient personnage de cinéma. Il apparaît aussi bien dans des polars que des drames, des comédies que des westerns, et est souvent là pour symboliser la recherche de la vérité, la dénonciation du mensonge et des magouilles en tout genre” (Stéphane Gobbo, journal Le temps, février 2016). Et c’est tout naturellement aux Etats-Unis, pays où le journalisme représente très tôt un quatrième pouvoir, que cette figure cinématographique s’impose rapidement pour devenir une icône récurrente puisque  “le journaliste concourt à tous les genres. Et des genres qui varient selon les époques. Du western (L’Homme qui tua Liberty Valance, John Ford, 1962) au film d’horreur (Le Cercle, Gore Verbinski, 2002) en passant par les comédies romantiques (Vacances romaines, William Wyler, 1953) et dans pléthore d’autres genres qui composent le cinéma hollywoodien, des films classiques aux blockbusters contemporains.
Cependant, lorsqu’on concentre l’étude sur le journaliste comme figure principale du film, on distingue deux genres majeurs dans lesquels ce personnage est mis en scène : les films policiers et les films politiques, voire dans les deux quand ceux-ci se confondent. Ainsi dans À cause d’un assassinat (Alan J. Pakula, 1974), le meurtre d’un sénateur entraîne le journaliste Joseph Frady à mener l’enquête alors que les témoins, dont une journaliste, meurent les uns après les autres.” (Les métamorphoses du journaliste dans le cinéma américain, Aurélie Poupée, dans Perspectives critiques : la Revue 1 (2006), pages 117 à 127). 

Aussi, loin de  vouloir dresser une liste exhaustive, voici quelques références incontournables du journalisme au cinéma. 

Les Hommes du président d’Alan J. Pakula (1976)  sur l’affaire du Watergate et l’enquête menée par les journalistes du Washington Post. Archétype du film journalistique, son action débute  en juin 1972 lorsque des cambrioleurs pénètrent dans les locaux du parti démocrate à Washington et sont arrêtés par la police. Deux journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, mènent alors  l’enquête et découvrent que les malfrats, qui s’apprêtaient à installer des micros dans le QG des démocrates, entretiennent des liens avec la Maison-Blanche et le président Richard Nixon. 

https://www.youtube.com/watch?v=xiBrLx3kKfQ

Pentagon Papers de Steven Spielberg (2017) sur l’engagement des Etats-Unis durant la guerre du Vietnam et les dossiers classés secrets du Pentagone publiés par le Washington Post. Le film de Spielberg est un hommage au film de  A. J. Pakula  et se termine par un plan subtile qui le raccorde avec le début de l’action des “Hommes du président”.  Pentagon Papers relate comment le Washington Post, après le New York Times, publie en 1971 une série d’articles révélant le contenu des Pentagon Papers, des documents classés «secret défense» qui témoignent de manipulations orchestrées par les gouvernements américains successifs pour légitimer la guerre du Vietnam. L’onde de choc est considérable et pousse l’administration Nixon à demander, en vain, l’interdiction de la publication. A la sortie de son film, Spielberg déclare :  “Je crois que le film est important quel que soit le moment, mais il est certain qu’actuellement, il y a de nombreuses personnes aux Etats-Unis qui entendent avec, disons… de “nouvelles oreilles”… parce qu’il y a des choses qui se passent dans mon pays en rapport avec les attaques incessantes de nos médias et de toutes sortes de nouvelles sources qui révèlent la vérité, mais qui se heurtent à l’administration de Trump. Et donc quand j’ai lu le script – j’ai reçu le premier jet du script de Liz Hannah, d’un seul coup ça m’a frappé, je me suis dit Oh mon Dieu, le même phénomène est déjà arrivé en 1971, à un époque où n’y avait pas un grand nombre de sources à partir desquelles on pouvait s’informer. Il n’y avait que trois chaînes de télévision et quelques grands quotidiens tout le pays… Richard Nixon a voulu empêcher le New York Times et le Washington Post de publier la vérité et leur a intenté un procès ! Et au début, il a commencé à gagner contre eux ! Et ça, c’est la première fois, dans l’histoire américaine depuis la Guerre Civile, qu’on a empêché la publication d’un quotidien. Donc, avec tous ces parallèles si intéressants, je me suis dit que c’était le bon moment de raconter l’histoire, quand les gens sont conscients de ce qui se passe.” https://www.youtube.com/watch?v=pV-KZSohqjU

Good Night and Good Luck de George Clooney (2005) relate l’engagement du présentateur de télévision Edward R. Murrow  contre le maccarthysme et qui, en 1954,  diffuse un portrait à charge du sénateur liberticide dans son émission See It Now. Redoutant de s’attirer les foudres de McCarthy, CBS refuse que son logo apparaisse durant la diffusion de l’émission. Murrow, réputé pour son allergie à toute forme de «chasse aux sorcières» ne cède pas à la pression, continue son émission  qu’il achève  chaque soir par ce slogan devenu marque de son combat “Good night and good luck”.

  https://www.dailymotion.com/video/xpxehz

 

Révélations de Michael Mann (1999) sur l’industrie du tabac et la stratégie des firmes pour augmenter la dépendance des consommateurs. Au cours des années 1990, Lowell Bergman, un journaliste d’investigation de CBS, reçoit des documents confidentiels prouvant que l’industrie américaine du tabac utilise des addictifs chimiques. Le journaliste rencontre Jeffrey Wigand, ex-vice-président de l’une des principales firmes de tabac, menacé de mort et qui refuse de témoigner à visage découvert. Un film précurseur sur le combat des lanceurs d’alerte. 

https://www.dailymotion.com/video/xpx3xa 

 

La déchirure de Roland Joffé (1984) sur la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges. En 1975, Sydney Schanberg, correspondant du New York Times au Cambodge, est assisté par un jeune reporter autochtone, Dith Pran, qui lui apporte une aide des plus précieuses. Lorsque les Américains quittent le Cambodge, Schanberg parvient à faire embarquer la famille de Pran dans un avion de rapatriement. Pran, quant à lui, décide de rester afin de couvrir les événements. Les deux hommes assistent à l’entrée des Khmers rouges dans Phnom Penh, et sont témoins de leur terrifiante cruauté. Réfugié à l’ambassade de France, Schanberg tente en vain d’obtenir un faux passeport pour Pran, qui tombe aux mains des nouveaux maîtres du pays. https://www.youtube.com/watch?v=aUlljGAjs_8

 

L’ombre de Staline d’Agnieszka Holland (2020) sur l’histoire du journaliste gallois Gareth Jones, qui dénonça la famine en Ukraine organisée par Staline en 1933. A cette date, ce journaliste indépendant vient de publier la première interview d’Adolph Hitler tout juste promu chancelier. Le reporter veut enchaîner sur un entretien avec Staline pour percer le secret du “miracle soviétique”, une réussite économique paradoxale alors que le pays est ruiné. Arrivé à Moscou, il se retrouve sous surveillance, lâché par les occidentaux, et découvre la réalité de l’Holodomor (“extermination par la faim”, en ukrainien).  Pour l’historien Nicolas Werth, “comme l’a justement écrit le pionnier des études sur ce drame, l’historien James Mace, la famine ukrainienne fut une “man-made famine” , la conséquence directe d’une politique d’extrême violence (la collectivisation forcée des campagnes) mise en œuvre à partir du début de l’année 1930 par le régime stalinien. Ce dernier entendait prélever sur la paysannerie un lourd tribut afin de réaliser « l’accumulation socialiste primitive » indispensable à l’industrialisation accélérée du pays, et imposer un contrôle politique sur les campagnes, restées jusqu’alors largement en dehors du « système de valeurs » du régime.” https://www.youtube.com/watch?v=bG4LH-uAK8U

Spolight de Thomas McCarthy (2016) relate l’enquête du Boston Globe qui mit au jour en 2002 un réseau de prêtres américains pédophiles. Après une enquête longue de douze mois, les journalistes font éclater le scandale et leur travail d’investigation est récompensé par le prix Pultizer, récompense américaine de l’excellence journalistique. 

https://www.youtube.com/watch?v=RY1k_10EzFs